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La « Lettre à un jeune enseignant » de Julie Philippon

Julie Philippon  (aller voir son blog) est enseignante, auteure, conférencière et blogueuse spécialiste des troubles d’apprentissage. L’auteure québécoise a publié sur son blog une magnifique lettre adressé à l’enseignant de l’un de ses enfants, « Lettre à un jeune enseignant », un plaidoyer pour un enseignement plus inclusif…

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 » Bonjour toi,

Tu sais, je te trouve très courageux, j’admire
ta fougue, ta jeunesse, mais aussi ta naïveté. Enseigner est un des plus beaux
métiers du monde! Imagine, allumer des étoiles, ce n’est pas donné à tout le
monde. C’est aussi donner le goût d’apprendre, de découvrir, de se dépasser à
un groupe d’élèves, aussi nombreux que différents, qui arrivent avec leur
propre bagage, leur histoire, leurs forces et leurs défis.

C’est très valorisant que de voir ces enfants-là
arriver à un point A et de les amener à un point B à la fin de l’année. Savoir
que pendant 180 jours de classe, tu feras peut-être une différence pour le
reste de leur vie, c’est excitant et angoissant à la fois.

C’est toi,l’adulte, ne l’oublie pas 
Sois honnête avec eux, quand tu ne connais pas une réponse, enseigne-leur comment aller la chercher, quand quelque chose te chicote, montre-leur comment en parler et invite-les, par l’exemple, à régler leurs conflits. Même si tu es en désaccord avec leurs parents ou les autres intervenants, rappelle-toi que c’est toi l’adulte, qu’il y a des choses qu’ils n’ont pas besoin de savoir.

Quand à leur tour ils te raconteront comment «maman a dépensé tous ses sous au casino », que « papa pleure tout le temps »,
qu’ils n’ont « pas de collation parce que le frigo était vide ce matin »*, fais quelque chose de beau avec ça. Garde tes commentaires désobligeants pour une
autre tribune et accompagne-les, demande de l’aide au besoin, apporte des
boîtes de barres tendres pour ceux qui arriveront l’estomac creux. Rappelle-toi
que tu es l’adulte le plus signifiant pour eux présentement et que oui, tu as
beaucoup (trop) de pouvoir, que tu peux faire une différence.

C’est aussi un grand privilège qui te demandera énormément de travail, d’énergie, de patience et d’amour! Oui! Oui! De l’amour, parce qu’il faut les aimer nos élèves pour les accompagner. Ce n’est pas grave si tu ne leur dis pas, ce qui l’est, c’est quand justement, le courant ne passe pas, parce que même si tu es très professionnel et que tu ne laisses rien paraître, eux, ils le savent, ils le sentent, il n’y a pas moyen de t’en sortir.

Tu seras aussi pendant une année scolaire leur modèle, la personne qui devrait leur inspirer le respect, avec ou sans « vous », le capitaine d’équipe, le grand chef, celui qui sait les pousser juste assez, mais qui est aussi là quand ils tombent ou que leur monde s’écroule parce que même s’ils sont petits, ils vivent parfois des drames qui sont plus grands que nous.

Les mots blessent, fais attention! 
Mais, tu sais, pour certains, c’est parfois plus compliqué. Ce n’est pas un manque de volonté des enfants ni de leurs parents, ni parce que toi-même tu es incompétent. Ce n’est pas un manque de travail ou même d’étude, c’est juste plus difficile pour certains enfants qui arrivent avec de plus grands défis.
Rappelle-toi que tes mots, ceux que tu dis, ceux que tu écris, ont un très grand impact sur tes élèves et leur famille. Même si tu ne comprends pas toute la situation, qu’il te manque des bouts, que tu juges que tu n’es pas très exigeant, que cette notion est facile, que tu n’arrêtes pas de répéter, certains de tes commentaires peuvent blesser x 1000!

Ce n’est pas toujours un « MANQUE D’ÉTUDE » 

Tu te demandes peut-être pourquoi je t’écris aujourd’hui. Parce que je suis moi-même enseignante depuis 23 ans, que j’ai toujours aimé mon métier, mais que depuis que je suis maman, je réalise que j’ai peut-être fait des gaffes dans le passé. En fait, c’est surtout depuis que mes propres enfants sont scolarisés que je pense à toi. J’ai toujours été une élève performante et lorsque j’ai commencé à enseigner, je m’attendais à ce que mes élèves le soient aussi.

Je manquais de vécu et d’expérience.

Mais vois-tu, depuis, j’ai dû m’adapter, m’informer, lire et accompagner mes propres enfants qui ont de nombreuses difficultés : TDAH, épilepsie, syndrome Gilles de la Tourette, dyspraxie, etc. Nous travaillons tellement fort pour les encourager dans leur parcours scolaire qui est tout sauf facile. Quand on reçoit ce genre de message, ça nous décourage, ça brise notre motivation et ça me donne le goût d’aller prendre un café avec toi pour t’expliquer que peut-être que d’après ton analyse de la situation, mon enfant manque d’étude, mais d’après la mienne, tu manques aussi de délicatesse, de psychologie et d’inspiration!

J’ai peur du trou noir 
Naturellement, on t’en demande toujours plus sans offrir les services dont tes élèves ont besoin. Ton travail est de plus en plus exigeant, tu dois trop souvent sortir de ta propre poche tes sous pour acheter du matériel, ton temps que tu donnes généreusement n’est pas reconnu et tout ça peut éteindre la petite flamme qui t’habitait lors de ton choix de cours.

Je le comprends, rassure-toi. C’est pour ça que je ne manque aucune occasion de te dire merci, ô combien je te trouve bon, que j’aime tes idées, etc. Mais, s’il te plaît, fais attention à ce que tu dis, ce que tu écris, parce qu’avec des messages comme celui-ci, tu ne fais pas juste éteindre une étoile, c’est comme si tu nous plongeais dans un trou noir pis ça me fait vraiment peur, pour toi, pour mon enfant, pour moi, pour nous.

Si jamais tu veux en jaser, je suis là pour toi, c’est aussi ça l’éducation. Le transfert de connaissances, reconnaître nos erreurs, aller de l’avant, avancer, réfléchir et trouver des solutions, briser les tabous, etc.

Fais-moi signe, je te payerai un café!

Julie, maman-prof

2 réflexions au sujet de “La « Lettre à un jeune enseignant » de Julie Philippon”

  1. Bonjour
    Un avis d’une personne qui connait les deux côtés du métier est intéressant car il est parfois complexe de voir de l’autre côté. Cependant oui il est très difficile de comprendre suffisamment les élèves et de trouver des solutions pour les aider. Il me semble que les ressources pédagogiques sont minces et demandent des heures de recherches.
    Au plaisir de vous lire.

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