Articles sélectionnés, école inclusive

Ecole inclusive: Ce que nous apprend l’Italie (Entretien avec Olivier Paolini)

Enseignant spécialisé, président de l’Inclusion En Marche, spécialiste des questions liées à l’enseignement spécialisé, Olivier Paolini participe à un programme d’observation des pratiques éducatives. Nous l’avons interrogé à son retour d’Italie, un pays où scolarisation rime avec intégration sociale, où professionnels et familles ont pris en considération la nocivité de la ségrégation des personnes en situation de handicap.

FOCUS: L’Italie, pionnière de la desinstitutionnalisation

30944298_10156139192728070_134894203_o

EDLN: Olivier Paolini, depuis combien de temps enseignez-vous auprès d’élèves en situation de handicap? 

J’ai presque toujours travaillé dans l’enseignement spécialisé. J’ai travaillé en CLIS  pendant 3 ans, et j’ai ensuite demandé à exercer en IME car j’avais vraiment envie de savoir ce qu’était enseigner face à un public d’élèves en situation de handicap. Je travaille donc depuis 15 ans avec un public d’enfants autistes, polyhandicapés, déficients…

EDLN: Avez-vous rencontré des difficultés particulières au cours de votre carrière? 

Au sein de l’IME, nous ne sommes que 2 enseignants pour 75 enfants! Parmi ceux-ci,  tous ne sont pas scolarisés, et ceux qui le sont ne le sont pas encore assez. Nous nous efforçons d’améliorer la situation de ces enfants, mais les choses évoluent peu.

Ce qui est choquant, c’est que le système est cloisonné, les enfants qui entrent dans ces établissements à 5 ans et en sortent à 20 ans. Celui qui n’est pas dans la norme est exclu du groupe. Pourtant, les familles et les enseignants se mobilisent, et la loi est de leur côté.  C’est un combat difficile que d’essayer de leur offrir d’autres perspectives.

J’essaie de montrer à quel point l’inclusion est importante et de mettre en place des dispositifs de « scolarisation partagée », j’arrive à le mettre en place pour 5 ou 6 élèves par an, c’est trop peu,  mais les contraintes administratives et logistiques sont très lourdes.

EDLN: C’est ce constat qui a motivé votre engagement politique et associatif?

Tout à fait. Je suis devenu président de l’OCCE de l’Aude, au sein duquel j’impulse des projets pédagogiques visant à l’inclusion au sein d’un chantier de réflexion national. Au sein de ce chantier, « handicap, inclusion et coopération », nous avons également coordonné le numéro de mai 2018 de la revue A et E  « Coopérer et inclure ».

Me reconnaissant dans les propositions d’Emmanuel Macron en matière d’inclusion, j’ai de ce fait prolongé mon combat en politique  au sein de L’Inclusion En Marche!. La société doit évoluer, l’Etat devrait prendre davantage en charge les élèves en situation de handicap. Pour l’anecdote, mes élèves ne sont même pas inscrits sur les listes de l’Education Nationale. Choisir la politique pour militer en faveur de la justice pour les personnes atteintes de handicap m’a semblé évident.

EDLN: Vous avez observé le système éducatif en Italie, avez-vous constaté des différences concernant la pédagogie inclusive?

Je suis allé en Italie dans le cadre du projet Erasmus: « cap sur l’école inclusive en Europe». Sur 3 années, 30 enseignants de 7 pays européens sont chargés d’observer les systèmes éducatifs et créer des modules de formation à destination des enseignants ordinaires qui aboutiront en 2019.

En Italie, c’est toute la philosophie pédagogique qui est différente.  Les ULIS, les IME n’existent pas. Tous les élèves sont dans les classes ordinaires, y compris autistes dits «sévères ». En revanche, l’accompagnement de ces élèves est plus fort: dès lors qu’il y a un élève atypique dans la classe, on y affecte un enseignant de soutien. Si l’élève est porteur d’un handicap « lourd », un éducateur vient soutenir l’enseignant. Des dispositifs innovants sont aussi proposés, comme par exemple cette école maternelle d’avant-garde qui proposait un travail en open space, sans classe.

Accueillir les élèves en situation de handicap est une évidence. D’ailleurs, les enseignants italiens sont stupéfaits de l’exclusion des élèves handicapés qui a lieu chez nous.

EDLN: Quelles inspirations pédagogiques pourraient être utiles aux élèves et aux enseignants français?

On peut aussi considérer 4 point essentiels de l’école inclusive:

  • L’aménagement espace et du temps: des espaces de travail en particulier pour les élèves handicapés: espaces clairs et   fonctionnels, pictogrammes,  structuration du temps.
  • Un regard positif sur les élèves: bien souvent, en France, on se focalise sur ce que l’élève ne sait pas faire. En Italie, les enfants sont valorisés dès tout petits, quelles que soient leurs différences. Si on encourage l’enfant dès le plus jeune âge en valorisant ses compétences, on encourage une meilleure estime de soi, un climat favorable aux apprentissages. Le regard de l’adulte sur l’enfant est primordial.
  • La didactique inclusive: les supports, manuels sont pensés d’une manière inclusive. Là bas, pour la même leçon, il y aura des supports différents adaptés aux différentes difficultés. Aussi, quelque soit son handicap, l’enfant parvient rapidement à faire son travail. En Italie, l’enseignement est à la base inclusif, tandis que chez nous on pratique a posteriori des aménagements de différentiation.
  • Le travail en équipe des adultes : les enseignants travaillent ensemble programment ensemble les activités, ils sont apaisés dans leurs préparations.

(NDLR: les effectifs sont aussi à prendre en compte:  Selon l’OCDE, l’Italie compte en moyenne un enseignant pour 12 élèves en 2015, contre 1 pour 19 en France!)

EDLN: Les résultats sont-ils probants?

Oui, je suis convaincu que  l’inclusion est bénéfique aux élèves en situation de handicap. Par exemple, j’ai pu constater par moi-même qu’il y avait chez les autistes comme chez tous les enfants des phénomènes d’imitation: si un enfant se tape la tête contre les murs, d’autres vont l’imiter. En Italie, on constate qu’un enfant autiste imitera les bons comportements.

Mais l’inclusion  est aussi complètement bénéfique pour les autres. Par exemple, cela leur permet d’apprendre l’empathie, cela  les responsabilise. Quand les élèves ont un problème à régler entre eux, ils ne vont pas se plaindre à l’enseignant, ils s’auto-régulent.

EDLN: Comment financer cette pédagogie plus inclusive?

L’éducation se fait par l’Education Nationale. Les fonds auparavant alloués aux associations gestionnaires ont été transférés à l’Education Nationale, ce qui a permis de financer le recrutement d’enseignants spécialisés.

EDLN: En France, nous mettons en place des processus de différentiation, quels éléments rendent l’enseignement transalpin plus « inclusif »   ? 

En France, nous proposons un enseignement identique pour tous et faisons de la différenciation pédagogique à la marge. L’adaptation individuelle et quotidienne des supports représente une charge de travail trop importante pour les enseignants. La différence, c’est que les enseignants italiens pensent l’enseignement d’une manière inclusive en amont de toute proposition d’apprentissage.

 

Juliette SPERANZA- L’école de la Neurodiversité- Avril 2018

 

Pour aller plus loin: 

http://www.ecoleinclusiveeurope.eu/fr

Cliquer pour accéder à 044000135.pdf

Cliquer pour accéder à synthese-documentaire-scolarisation-eleves-situation-handicap-en-europe.pdf

 

Publicité